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Aux quatre vents
14 août 2012

Mon Confident

Il fut le premier des hommes que j'aime, ceux dont je parlais la dernière fois, la pierre angulaire de ce qui allait devenir notre amitié. Dès la seconde nous nous sommes rapprochés, à la faveur d'un voyage de classe à Paris. Les ragots nous éloignèrent, les deux adolescents que nous étions à l'époque n'étant pas de taille à faire face aux insinuations les plus déroutantes. Mais l'amitié était là, sous-jacente, féroce. La Première nous lia à nouveau, timidement, avant que le décès de mon père et l'année de Terminal scelle les sentiments qui nous unissaient.

Il devint mon confident, et mon premier amour. Pendant deux années pleines nous parlâmes de sortir ensemble, sans sauter le pas, raisonnant sans comprendre ce qui nous jetait l'un contre l'autre. Nous finîmes par sortir ensemble et je sais aujourd'hui qu'il sentit bien avant moi que nos cœurs ne battaient pas cette mesure. Ce fut la séparation, mais pas la fin de notre amitié.

 

Au fil de ces années, notre amitié se développa, s'étoffa, et les soirées entre amis se terminèrent quasiment toutes de la même manière. Mon Confident me ramenait dans sa voiture chez moi et nous passions encore une heure, parfois deux ou trois, à parler, à se confier, à disséquer le monde et les émotions qui envahissaient nos vies.

Il était là, pierre solide de ma vie, tellement présent et si différent de moi ! Ses pieds sur terre me permettaient d'avoir les yeux rivés au ciel, son calme tempérait mon hyperémotivité, son rire calmait mes rages.

 

Puis il rencontra celle qui allait devenir sa femme et mon Evidence m'apprivoisa. Reste de jalousies ? Caractères si différents qu'on ne peut apprécier les autres personnes partageant nos vies ? Rien ne nous prédisposait à nous aimer tel que nous nous sommes aimés. Les terreaux dans lesquels nous prenons racines sont par trop de nature différente et c'est un pur miracle si nous avons plongé l'un dans l'autre au point d'arriver à notre essence même, à ce qui fait que par delà nos différences la graine, notre cœur, bat au même rythme.

Toujours est il qu'il n'apprécia pas mon Evidence, pas vraiment, et que je n'aimais pas sa femme. Il fallu d'autres années, à l'un comme à l'autre, pour apprivoiser ceux qui étaient devenus les centres de nos vies respectives. Et par là même, nous nous éloignâmes.

Il n'y eu plus de confidences, plus de fin de soirée passés à grelotter dans cette vieille voiture, les nuits d'hiver, plus d'heures passés au téléphones à raconter le futile et l'important.

Oh, je savais qu'il m'aimait ! Je savais que quelque part, au fond, rien ne pouvait délier ce qui nous avait liés. Quand nous nous voyions, tous les cinq, il y avaient encore ces rires partagés la douceur de nos regards, le poids des ans nous rattachant solidement l'un à l'autre. Certaines années sont des enclumes aux amis, nous avons la chance de voir les nôtres devenir des ancres.

 

Et puis il y eut cette nuit, il y a une semaine de cela. Je lui ai écris, dans l'idée de lui donner des nouvelles succinctes. Puis les vannes se sont ouvertes. Je lui ai demandé pourquoi nous nous étions éloignés et je lui ai parlé, à mon Confident, comme s'il avait été à côté de moi, comme si nous nous étions trouvés dans la voiture de notre adolescence.

Je lui ai dis que j'avais peur, même si je n'en parle pas, même si je ne mens pas quand je dis que je vais bien et que je suis heureuse. Je lui ai raconté tout ce que je ne dis pas à mon Evidence, parce que mon Evidence gère déjà notre quotidien et qu'il est le gardien de mon bonheur. Je n'ai pas envie de l'étouffer avec certaines choses, ces choses que seul mon Confident pouvait entendre.

 

La réponse n'attendit pas, quelques heures après j'avais un mail ou j'ai senti tout le désarroi de mon ami. Il me disait que la pire chose qu'il eu pu arriver, à la lecture de mon mail, eut été qu'il ne se sente plus concerné par mes problèmes, mais que ce n'était pas le cas, qu'il avait juste perdu le moyen de me le faire comprendre (ce qui, entre nous soit dit, était une moyen très efficace de me le faire comprendre, justement!). Il avait d'ailleurs été touché par le fait que j'ai pu penser, moi, qu'il ne se sentait plus concerné.

Et il me demandait s'il pouvait venir le 15 Aout, s'il pouvait passer la journée à la maison, tant pis pour les 5 heures de route qu'il allait avoir dans la journée, tant pis pour le travail qu'il délaisserait ce jour là (étant agriculteur, point de jour de repos!). Cela lui semblait être devenu prioritaire de venir me voir.

 

De quoi parlerons nous ? Trouverons nous les mots ? Il arrive demain, avec sa femme, avec sa fille, et je crois que l'important n'est même pas dans ce que nous dirons. L'important est qu'il sera là, avec son rire, avec la douceur de son regard, avec son amitié qu'il craint de ne plus savoir me faire partager alors que s'il y a une chose dont je ne doute pas, c'est justement de l'amitié que les hommes que j'aime (et donc lui!) me porte.

Je suis plus que bouleversée de voir qu'il accourt, qu'il éprouve le besoin de me voir, de renouer des liens qui s'étaient distendus sans jamais se dénouer, 'simplement' par crainte de perdre ce lien si particulier qui, dès le premier jour, a lié nos âmes l'une à l'autre.

 

 

Je me souviens de ce que mon père disait de son meilleur ami, lorsque j'étais petite. Il disait « Pierrot, je sais que je pourrais l'appeler à n'importe quelle heure, et de n'importe ou. Si je lui demande de venir, je sais que le lendemain il sera là ». Cette définition de l'amitié, toute simple, sans fioriture, et celle qui m'a toujours faite rêver. Cela a été ma ligne de mire, en matière de relation. Je VOULAIS vivre ça, je VOULAIS que mes amitiés aient cette solidité, et qu'importe qu'il faille des années pour arriver à cette définition exacte.

Voilà bien longtemps que je sais au plus profond de mon être que je possède les amis dont je rêvais, enfant, les amis dont avait su s'entourer mon père. Un appel, même en pleine nuit, même du fin fond de la France et ils seraient là.

Ce que mon Confident vient de faire, c'est exactement cela. Car même si les mots n'ont jamais été écrits dans ce mail nocturne, qu'était il d'autre qu'un appel ?

 

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